Nous suivons nos sacs dans la cour du Centre Lalesh (pas question ici de prétendre porter quoi que ce soit), avant de nous retrouver assises avec un jus de pomme, de l’eau, du chocolat, des oeufs de Pâques et un cendrier (pas question ici d’interdire quoi que ce soit). Tout ça pour recommencer 5 minutes après dans le jardin où sont reçus les notables dans une tente dressée à l’occasion du Nouvel An yézidi.
Je repère Pir Xidir en avançant dans le jardin, au moment où il lève les yeux sur nous. Difficile de décrire le mélange d’incertitude, de stupeur, de joie et d’incrédulité qui traverse son regard quand il nous reconnaît… complètement sonné !
On sacrifie au rituel immuable des visites en vigueur dans tout le Kurdistan, le plus difficile étant de déterminer le temps convenable qu’il convient de rester assis sagement en représentation. Heureusement, mes appareils me permettent d’abréger un peu la séance photo de rigueur même si j’ai dû renoncer à m’en dispenser totalement. Le pire c’est que quand cela concerne des notables, on a le droit en prime à la presse, quand ce n’est pas à la télé !
Quand on peut enfin s’éloigner pour rejoindre le commun des mortels en laissant un pir qui n’a toujours pas repris ses esprits, j’en profite pour tester ma carte téléphonique avec un autre portable. C’est une nouvelle, mais comme en 2007, on peut envoyer des SMS, recevoir des appels, mais pas appeler. En fait, la carte fonctionne, mais n’est pas complètement compatible avec mon téléphone ?!
Comme j’ai besoin d’un correspondant qui parle français pour vérifier, j’appelle Patros pour le prévenir que nous passerons bientôt. Heureusement qu’il est coincé à Zaxo, parce qu’il voulait venir nous récupérer immédiatement ici et que j’aurai eu du mal à le faire renoncer : à part répéter en boucle « Vous êtes les bienvenues, quand venez-vous ? » impossible d’en obtenir grand chose d’autre.
Des « Matran, Matran » commencent à circuler dans les allées. Ca s’agite du côté de l’intendance et comme ils ne peuvent attendre la visite de Patros, ça confirme que Rabban va passer.
Effectivement, des « Matran Rabban » fusent un peu partout… pour des nanas dépourvues de vie spirituelle, amener un évêque à un pir, c’est réussi. J’en connais un qui a intérêt à retrouver le sens de l’humour, parce que personnellement, je suis totalement dépourvue de charité chrétienne !
Rabban est assis près du pir qui semble toujours sur une autre planète. Je vais cérémonieusement lui dire bonjour (déjà difficile de ne pas rire) quand il se justifie de sa présence par un « je suis venu présenter mes condoléances ». Là, vaut mieux que j’évite son regard et que je m’abstienne de tout commentaire, parce que je ne garantis plus rien s’il me confirme qu’il a présenté ses félicitations à la famille du défunt qu’il vient de quitter ! Heureusement pour lui, le pir n’a toujours pas retrouvé ses neurones et ne risque pas de faire la moindre objection : en ce moment, une délégation martienne pourrait débarquer, il l’accueillerait tout aussi mécaniquement, sans se départir de l’air ahuri qui ne l’a pas quitté depuis notre arrivée… ce qui me pose un problème côté photo, tellement c’est flagrant.
Si Rabban et le pir (aujourd’hui en costume traditionnel) côte à côte, c’est un super sujet, je risque de n’avoir rien d’exploitable sous peine de faire passer, au choix, les députés kurdes (pir Xidir est également député) pour de doux allumés ou les Yézidis pour des crétins finis… à moins de flinguer ma réputation de photographe même pas foutue de prendre deux dignitaires religieux autrement que de profil, d’autant que ce n’est pas Photoshop qui pourra me venir en aide sur ce coup !
Rabban à qui il n’a pas fallu longtemps pour se mettre l’assemblée dans la poche (ça a des poches une soutane ?) finit par prendre congé, raccompagné par un Yézidi d’un certain âge devenu brusquement un super pote.
J’en profite pour avoir des photos montrables sur la convivialité entre les religions du Kurdistan, mon modèle préféré affichant pour une fois un magnifique sourire.
Le pir veut que nous déjeunions : les Kurdes ne seront satisfaits que quand nous serons devenues obèses et incapables de bouger, donc de disparaître dès qu’ils ont une seconde d’inattention ! Dej convivial à une grande table pendant que lui va faire une sieste histoire de récupérer un peu, les émotions des dernières heures l’ayant visiblement fatigué !
Il nous rejoint ensuite dans le bureau où nous profitons d’une connexion Internet (lente mais connexion quand même) pour organiser la suite. Lalesh ce sera pour demain, il ne pourra pas venir avec nous, mais s’arrange pour qu’une voiture avec chauffeur soit disponible.
En attendant, on va retrouver le Sham qui nous annonce 100.000 dinars la nuit (c’est un motel et les motels louent des apparts, pas des chambres), puis 90.000. On sonne à notre porte une demi-heure après : le réceptionniste nous informe qu’il s’est trompé, en fait, c’est 75.000 dinars… ça sent le déjà vécu !
Je suis en train de transférer les photos des cartes sur mon portable, quand je note une odeur bizarre. Ca me rappelle quelque chose, mais impossible de me souvenir de quoi. J’ai l’explication quand on sort pour dîner : un brouillard de poussière sombre envahit tout. Ca promet pour demain…