Pas d’électricité ce matin dans le-plus-beau-village-du monde. Mes batteries n’ont pas eu le temps de charger et sans chauffage ni eau chaude, pas question de prendre une douche à moins de vouloir se transformer en statue de glace. Toilette de chat donc avec les lingettes en tous genres (pas écolos mais bien pratiques) que j’emporte toujours en voyage.
Ca caille et en plus il flotte ! Un tour à l’église en construction d’où la vue est splendide pour quelques photos grises. Dommage, une fois le bâtiment terminé, il bouchera la vue sur les montagnes.
Petit déj en grelottant, ce qui ne va pas arranger le début de crève que j’ai attrapé hier. Pour une fois, on a le temps d’échanger un peu avec Rabban, de meilleur humeur que la météo, et qui consent même à trouver une certaine utilité aux photos.
Il évoque brièvement pour nous un passé récent : ces corps sur les routes, ces enfants « que nous n’avions même pas le temps de bénir »… avec cependant toujours cette détermination d’avancer, cette foi en la vie. J’espère qu’un jour, nous aurons plus de temps…
Nous partons pour Duhok sans le « je suis en retard » habituel. Le thermomètre de la voiture indique 7 degrés, soit même pas la moitié de la température de destination. Le-plus-beau-village-du monde peut concourir pour le titre du village-le-plus-froid, au moins du Kurdistan !
Sur la route, il nous explique l’histoire récente des hommes de ces montagnes : destructions, exodes, reconstructions des villages… avant d’arriver au lycée international de Dohuk.
Thé dans la salle des profs, avant d’aller voir la bibliothèque. Pas loin de 10.000 livres, mais la plupart en français et qui ne doivent donc pas être utiles à beaucoup d’étudiants, les cours étant principalement assurés en anglais. Le projet d’origine d’un lycée français a dû s’adapter, la France ne se sentant pas concernée par la francophonie, comme j’ai déjà malheureusement pu le constater en Turquie.
On replonge dans notre enfance en piochant dans les rayons des titres oubliés : bibliothèques Rose, Verte, Rouge et Or côtoient des annales du bac, des livres de droit, de gestion, de compta. Des classiques attendent à côté de romans à l’eau de rose les précieux arrivages de « généreux » donateurs souvent plus intéressés de débarrasser leurs placards tout en ménageant leur conscience que de s’assurer de l’utilité réelle de leurs dons : peu de chance que la collection intégrale de Nauticus (La navigation intérieure, Vie pratique à bord, La navigation côtière, La navigation hauturière…) présente un jour une quelconque utilité ici !
Sandrine va chercher dans la voiture les exemplaires de Mem et Zîn et de Kawa qu’elle a apportés et Rabban m’explique qu’il nous accompagne au Centre Lalesh, mais qu’il faut se dépêcher. Je suis prête, mais Sandrine évidemment traînaille dans la salle des profs, ce qui me vaut un « Dépêchez-VOUS, je suis en retard ! ».
Le temps de la retrouver et de la houspiller pour qu’elle se magne, et nous partons avec un guide : Monseigneur Kurdistani venant d’apprendre, par deux Françaises sans mission ni vie spirituelle, l’existence du Centre, n’ayant bien évidemment aucune idée de sa localisation. Les Yézidis comme d’hab. toujours adorables, empressés et ravis de nous récupérer avec nos sacs ont dû avoir du mal à comprendre les recommandations de Rabban nous concernant !
Il nous rappelle qu’il doit nous quitter pour aller présenter ses condoléances à une famille, mais rajoute qu’il passera « peut-être » présenter ses félicitations aux Yézidis. Là, je suis prête à parier qu’on va effectivement le revoir très bientôt. Adieux touchants (je ne m’habituerai jamais aux départs y compris temporaires, c’est même de pire en pire), mais nous devons nous revoir à Amedi et Erbil : comment, mystère s’il compte nous donner rendez-vous par communication spirituelle plutôt que par téléphone, mais l’intention y est.
Il nous demande d’être « gentilles » avec les gens (Euh, veut dire « Soyez sages » ?!) et prétend brusquement que nous aimons les Kurdes, même plus que lui. Je m’abstiens de lui répondre que l’amour n’est pas une compétition et qu’on ne sera jamais assez de trois même à temps complet.
Nous le laissons partir pour rejoindre les Yézidis, certaine pour ma part qu’on va le revoir tout à l’heure…